Témoignage sur le procès Faurisson/Badinter
Lundi 12 mars 2007 s'est ouvert devant la 17e chambre correctionnelle un procès en diffamation opposant Robert Faurisson , chef de file des négationnistes français, à l'ancien garde des sceaux Robert Badinter. Ce dernier, lors de l'émission "Forum des Européens" diffusé sur Arte le 11 novembre 2006 et consacrée aux lois "mémorielles" a rappelé le dernier procès qu'il eut à plaider avant d'être appelé au ministère de la justice: celui l'opposant en juillet 1981 à Robert Faurisson, poursuivi pour négation du génocide des juifs."J'ai fait condamner Robert Faurisson comme faussaire de l'histoire" devait-il alors déclarer.
Profitant du fait que l'arrêt de la cour du 9 juillet 1981, si il condamne effectivement Faurisson pour "manquement aux règles d'objectivité en histoire", pour "imprudence" dans l'interprétation des témoignages, se refuse pour autant d'entrer dans le débat de savoir si oui ou non ses écrits constituent une entreprise de falsification de l'histoire, celui-ci a assigné à son retour d'Iran1 l'ancien ministre de la justice pour diffamation, lui réclamant au passage la somme de 15 000 euros de dommages et intérêts.
Le premier a pour avocat Eric Delcroix, déjà condamné pour négationnisme pour son ouvrage "La police de la pensée contre le révisionnisme" publié en 1994 et ancien candidat Front national et MNR dans l'Oise. Eric Delcroix est par ailleurs un proche du Bloc Identitaire et plus particulièrement du CEPE2 (comité d'entraide aux prisonniers européens) qui l'assistent matériellement dans sa défense du terroriste néo-nazi Michel Lajoye auteur en 1990 d'un attentat contre un café fréquenté par des Maghrébins.
Robert Badinter est quant à lui assisté de Bernard Jouanneau de la Licra et Henri Leclerc, ancien président de la Ligue des Droits de l'Homme. Il a en outre, fait exceptionnel, obtenu que le procès soit filmé.
En tant que partie civile, Faurisson a droit en premier à la parole. C'est la première fois que j'ai l'occasion de l'entendre de vive voix: d'emblée je suis frappé par le caractère théatrale du personnage: "Voici dans ma main droite l'arrêt du 9 juillet 1981, et voici dans ma main gauche celui du 23 avril 1983 qui constitue ma condamnation en appel" commence-t-il par s'exclamer. "Monsieur Badinter, poursuit-il, a osé affirmer devant des millions de français que j'avais été condamné comme faussaire de l'histoire. Je demande où, à quelle page, à quel alinéa, à quelle ligne, il est dit que Robert Faurisson a été condamné pour être un faussaire de l'histoire ? La réponse est : nulle part !»
Et voici notre homme, visiblement heureux de pouvoir se mettre en scène devant un public de thuriféraires mobilisés en nombre conséquent, qui se lance dans un discours proprement stupéfiant, ou des faits bien réels sont entièrement extraits de leur contexte , réinterprétés à l'aune de considérations qui ne s'avèrent être rien d'autre, on le verra plus tard avec l'intervention de Robert Badinter, qu'inventions pures et simples. "A l'époque, poursuit-il, Badinter et ses amis se sont rendus en Pologne et en Israël pour trouver des preuves de l'existence de ne serait-ce qu'une seule chambre à gaz. Vous savez cette chambre à gaz à Auschwitz, je l'ai visité. Tout y est sombre, avec une lumière tamisée. Moi, bien entendu, je m'y suis rendu comme un gendarme(sic) pour enquêter avec toute le matériel nécessaire, avec des lampes torches, sur cette fameuse chambre à gaz. La vérité est que tout cela ne tient pas. Savez-vous ce qu'est une chambre à gaz? Pour ma part, j'ai longuement étudié ces fameuses chambres aux Etats-Unis (NDLR:il fait allusion à sa collaboration avec Fred Leuchter, ingénieur chargé de l'éxécution des condamnés à mort, et converti par Faurisson, au négationnisme), le fonctionnement y est extrêmement compliqué. Alors, vous imaginez pour des milliers de gens, comme à tenté de nous le faire croire la propagande de guerre? Comme ce Filip Müller , trois années passées dans une chambre à gaz nous dit-il, et vous m'excuserez le mot , cette ressucée en moins bon avec Shlomo Venezia. Mais tout cela est impossible! Absolument techniquement impossible! La chambre à gaz à Mathausen? Une douche; la chambre à gaz à Treblinka? Une douche; à Birkenau? Encore une douche." Visiblement excédé, le président Nicolas Bonnal, se tient depuis un bout de temps la tête entre les mains. "Je vous demande de conclure Monsieur Faurisson" le coupe-t-il.
En guise de "conclusion" nous avons droit, mot pour mot, à ses déclarations passées, parmi lesquelles celles qui furent le plus médiatisées. A commencer par la fameuse "phrase de 60 mots": "Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des juifs forment un seul et même mensonge qui a permis une gigantesque escroquerie politico financière dont les principaux bénéficiaires sont l'état d'Israël d'une part et le sionisme international d'autre part, et les principales victimes le peuple allemand, mais non pas ses dirigeants, et le peuple palestinien tout entier". Et le maître dans la négation de l'Histoire de conclure:" le révisionnisme est la grande aventure du XXe siècle".
Son public jubile. C'est au tour de Robert Badinter d'avoir la parole. Emu, la voix nouée, il commence sa déposition. Le voyage en Pologne tout d'abord. Evoqué mensongèrement à la barre par Faurisson comme une "recherche de preuves des chambres à gaz": ce sont les membres de la famille Badinter , déportés à Auschwitz, et pour lesquels, en ce lieu de non-sépulture et ou la négation des vivants s'exerce jusque dans la mort, il vient lire le Kaddish, la prière des morts dans la religion juive. A moins d'un mètre de lui, un Faurisson tout sourire, visiblement épanoui. On peut ressentir alors toute la démarche perverse du négationnisme: jubiler en s'érigeant en accusateur procureur, sommant les victimes de "prouver", quand ces dernières se voient infligées de raconter une fois encore leur calvaire, de "débaler" les pans les plus douloureux et les plus intimes d'une histoire personnelle. L'après-midi, l'historienne Nadine Fresco aura les mots justes lorsqu'elle évoquera cette coexistence de la jubilation et du chagrin. Vient ensuite l'évocation de l'arrestation des membres de la famille de l'ancien garde des sceaux, qui a alors 15 ans: son oncle et surtout sa grand-mère âgée de 80 ans, invalide, et que les policiers français viennent chercher sur une civière. Soudain, l'émotion cède la place à la colère: "Ma grand-mère invalide, participait-elle d'une escroquerie politico financière??!". La salle est saisie. L'homme est impressionnant de dignité. "Faussaire de l'histoire: cette expression correspond très exactement à la réalité, poursuit-il,
"Le négationnisme est l'une des pires entreprises de faussaires de l'histoire. Tout à coup, cela voudrait dire qu'il n'y a plus de morts, qu'il n'y a plus d'assassins, que les Juifs sont morts pour rien, morts par hasard" et s'adressant à Robert Faurisson qu'il regarde dans les yeux:"Pour moi, jusqu'à la fin de mes jours, jusqu'à mon dernier souffle, je me battrai contre vous et vos semblables". Il se rasseoit. Place aux témoins que la défense a fait citer. Premier d'entre eux, Valérie Igounet, historienne de 36 ans qui a consacrée au négationnisme , une thèse sous la direction de Pierre Milza, parue aux éditions du Seuil sous le titre "Histoire du négationnisme en France". La jeune femme subit depuis la publication de sa thèse diverses menaces l'ayant conduit à devoir déménager: elle donne en conséquence comme adresse, celle de son éditeur. Est longuement invoqué le parcours intellectuel de Robert Faurisson, ses contacts avec Paul Rassinier dès les années 60. Dans la salle l'attention se fait moins palpable, certains sortent, devant moi un vieux monsieur lit nonchalament National Hebdo. Après elle, Annette Wieworka vient dire l'incompréhension que lui inspire un tel procès: les négationnistes ne sont pas des collègues, leur principal hérault en France, ici présent, n'a jamais été diplômé de quelque manière que ce soit en Histoire; de même lorsque Robert Faurisson parle de l'historien Raoul Hilberg comme "battant en retraite" elle exprime simplement son étonnement. Visiblement négationnistes et historiens ne lisent pas la même chose, ne parlent pas la même langue. Il est alors 12h45, lorsque le président se demande si il ne vaut pas mieux reprendre les débats à 14h15. Maître Jouanneau propose de faire citer Gérard Panczer, spécialiste du négationnisme sur Internet. Son témoignage devrait normalement être cours. Pour être cours, celui-ci n'en est pas moins incisif. Chercheur au CNRS, au fait des arcanes de l'université, il révèle un des premiers mensonges de Faurisson, celui ayant trait au titre de "professeur" qu'il usurpe, n'étant dans la réalité que maître de conférence en littérature. Ces méthodes de faussaire mises à jour par le témoin seront corroborées et détaillées par l'historienne Nadine Fresco (citée en début d'après-midi) qui démontrera le caractère tronquée des citations rapportées par Faurisson, son amalgame des noms, ainsi que son usage falsifié des références.
La question des titres réels de Faurisson au sein de l'université évoquée , le témoin s'attache à démontrer le caractère antisémite des écrits d'un homme se prétendant "apolitique", "guidé par le souci de la vérité"et "en dehors de toute considération idéologique": il cite à cet effet des passages du texte "Les victoires du révisionnisme" que Faurisson a lu à Téhéran lors de la conférence négationniste présidée par Mahmoud Ahmadinejad : "le juif François Furet", "le juif Léon Poliakov" peut-on y lire. Le témoin rappelle que ce procédé consistant à accoler l'épithète "juif" à une personnalité que l'on suppose de confession ou d'origine juive est typique de la littérature antisémite des années 30 et plus encore de celle qui avait cours durant les années d'occupation . Enfin, est lu à la barre un passage, choisi entre plusieurs autres, qui achève de démontrer si il en était besoin la violence antisémite qui sous-tend le discours négationniste: " Pratiquant le mensonge à grande échelle, les religionnaires de l' "Holocauste" se sont faits peu à peu les ennemis du genre humain".
Nadine Fresco rappellera quant à elle la présence de Faurisson au congrès du parti néo-nazi américain "National Alliance" le 14 septembre 1979. Pour l'heure, la séance est suspendue, j'en profite pour interpeller Gérard Panczer auquel j'ai quelques questions à poser. La discussion s'engage quand nous sommes interpellés par l'éditeur Pierre Guillaume, ancien responsable de la Vieille Taupe, et certains de ses amis. "La Shoah est dégonflée!" nous lance-t-on. Certains pour contester le bienfait de la loi Gayssot condamnant le négationnisme, invoquent le "libre débat entre historiens".
Quelque chose est néanmoins rassurant au milieu de tout ce délire: les soutiens dont bénéficient l'ancien maître de conférence en littérature sont majoritairement composés de personnes âgées. Hormis donc, les soutiens dirons-nous "habituels", de Pierre Guillaume déjà citée, à la dessinatrice Chard, récemment primée par Téhéran pour une caricature sur la Shoah on peut croiser quelques personnages connus pour leur activisme xénophobe. Ainsi Hervé Lalin3 militant néo-fasciste et antisémite notoire, ancien du FN et du MNR qui connut son heure de gloire pour avoir monté une agression contre des personnes sans-papiers est présent auprès du "professeur" comme il le fut récemment auprès de Kémi Séba, ou encore Odile Bonnivard4 cadre du Bloc Identitaire et responsable de la très médiatisée "soupe au cochon". Deux jours plus tard, le mercredi 14 mars, j'aurai la désagréable surprise de voir Mme Bonnivard bénéficier d'une tribune lors d'une émission du service public," l'Arène public" présentée par Stéphane Bern et consacrée au thème du racisme. Pas question ici de négation de crimes contre l'humanité. Seulement de se plaindre des discriminations dont seraient victimes les "européens de souche" et de faire la promotion d'une soupe faite systématiquement et volontairement à base de porc, excluant de facto Juifs et Musulmans. Soupe , dont les militants identitaires résument l'esprit par un slogan en guise de credo "les nôtres avant les autres".
Pour l'heure, dans la salle des pas perdus du palais de justice, je songe à certaines franges de la communauté juive ou il est de bon ton de pointer du doigt un antisémitisme "black-beur" comme le danger majeur auquel ont à faire face les juifs de France. Je songe à tous ceux que j'ai pu entendre se gausser de la lutte contre l'extrême-droite comme d'un combat d'arrière-garde, et je me dis qu'il n'est pas inutile de rappeler que c'est la même France qui refuse l'ouverture de la société française à d'autres qu'aux "gaulois" qui se trouve être toujours en première ligne dans la détestation du fait juif.
Le procès reprend le 2 avril avec les plaidoieries des avocats.
Daniel Bensoussan-Bursztein (militant associatif)
1 En décembre 2006, s’est tenue à Téhéran une conférence négationniste, organisée par le régime des mollahs et avec la participation de négationnistes venus du monde entier. Etait notamment invité d’honneur, l’ancien chef du Ku-Klux-Klan, David Duke.
2 Le Comité d’entraide aux prisonniers européens, association loi 1901, a été fondé en 2002 suite à l’emprisonnement de membres de l’ex-Unité Radicale, pour violences. Il se consacre à la défense et au soutien moral et matériel des prisonniers d’extrême-droite. Cela va de Michel Lajoye à Régis Kehruel (condamné à dix-huit années de prisons pour un meurtre raciste commis en 1998) en passant par Maxime Brunnerie (ancien candidat MNR et membre d’unité radicale condamné à 10 ans de réclusion pour une tentative d’assassinat sur la personne du président de la République, Jacques Chirac, le 14 juillet 2002).
3 Hervé Lalin , connu sous les pseudonymes de François Ryssen et Hervé Ryssen notamment par ses textes parus sur le site Voxnr de Christian Bouchet, a connu une certaine notoriété dans les rangs de l’extrême-droite avec la publication en 2004 et 2005 de deux ouvrages, « Les Espérances planétariennes » et « Psychanalyse du Judaïsme » parus tous les deux aux éditions Baskerville fondée par l’intéressé. Il s’agit d’une reprise des thèses suprématistes américaines selon lesquelles est orchestré en haut lieu un « complot juif » ou « sioniste » (d’où l’acronyme ZOG Zionist occupation governement) visant à détruire la « race blanche » par métissage généralisé. Lalin fut présent le 18 septembre 2006 au procès intenté par l’UEJF au leader « kémite » Kémi Séba, ainsi qu’au rassemblement frontiste des BBR en novembre 2006 au sein duquel il disposait d’un mini stand pour la dédicace de ses livres. Il collabore aujourd’hui à la revue La Cocarde, proche de l’Action Sociale Populaire du pasteur Jean-Pierre Blanchard.
4 Odile Bonnivard ancienne responsable du MNR à Chatou dans les Yvelines (78), est aujourd’hui une des cadres dirigeantes du Bloc Identitaire. Elle a fondé sa section francilienne la « Ligue identitaire francilienne » en juin 2004, en compagnie de Josiane Le Floch (MNR), Philippe Comte (MNR condamné en 2003 pour la diffusion d’un texte antisémite) et Jean Menissez , ainsi que l’association « Solidarité des Français » responsable des distributions de soupes au cochon à Paris.
In http://prochoix.org/cgi/blog/index.php/2007/03/19/1280-temoignage-sur-le-proces-faurisson-badinter