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egalibre, blog de Nathalie Szuchendler
30 mai 2007

Liban: la chenille guerrière redémarre

«  Les camps palestiniens accueillent de djihadistes depuis les années 1990 »

Jeudi dernier, à la suite des combats sanglants qui opposent l’armée libanaise au groupe Fatah Al-Islam dans le camps de Nahr al-Bared, Bernard Kouchner s’est rendu au Liban. Sur le ton protecteur et sentencieux du grand frère, il a dit au Premier ministre Fouad Siniora : « Le Liban vivra. »  Ce n’est pas tout à fait l’avis de Bernard Rougier (*), spécialiste des camps palestiniens, qui révèle que, depuis les années 1990, des groupes islamiques radicaux investissent ces camps et qu’ils pourraient bien entraîner le gouvernement dans un piège fatal…

Charlie-Hebdo : Comment comprendre la crise actuelle ?

Bernard Rougier: Elle est liée à la crise que traverse le Liban depuis deux ans. Depuis le retrait Syrien, le gouvernement libanais et la famille Hariri en particulier cherchent à consolider leur emprise sur la communauté sunnite libanaise, y compris sur sa frange radicale. Or à l’intérieur de cette mouvance islamique, a émergé depuis novembre 2006, un nouveau groupe, Fatah al-Islam, qui ne suit pas la logique confessionnelle de la défense communautaire sunnite face au Hezbollah, mais fait le choix idéologique de la lutte contre l’Occident. Dans cette mesure, leurs objectifs sont très proches de ceux d’Al-Quaida, mais surtout de ceux des Syriens, dont l’action contribue à diviser la communauté sunnite libanaise.

Ce groupe est donc utilisé par les Syriens ? 

J’ai quelques éléments pour le penser. Une partie du Fatah al-Aslam est allée se battre en Irak au sein de l’armée islamique. Selon moi, le régime syrien, très influant chez ces résistants sunnites, a dû envoyer quelques-uns à Nahr al-Bared. D’autant plus qu’ils traversent le territoire syrien pour se retrouver au nord du Liban. En outre, le groupe de  Fatah al-Aslam a récupéré l’infrastructure d’une ancienne milice palestinienne, le Fatah Intifada, créée en 1983, lorsque les Syriens ont investis Tripoli et les camps palestiniens de Baddaoui et de Nahr al-Bared, et en ont chassé Arafat. Donc Fatah al-Aslam serait une émanation de Fatah Intifada, prolongement organique des intérêts syriens au Liban.

Depuis quand ce groupe est-il implanté au Liban ?

Depuis la fin de la guerre, en 1990, les camps palestiniens dépourvus de tout cadre institutionnels sont devenus le réceptacle de toutes les influences régionales et internationales. En lien avec le Londonistan, ils suivent les débats en Arabie Saoudite, sont reliés à des diasporas libano - palestiniennes en Australie, au Danemark, etc. Ils accueillent des djihadistes traqués dans leur pays, qui savent qu’ils peuvent bénéficier d’un lieu sûr, puisque l’armée libanaise ne peut pénétrer dans les camps. Et ces combattants ont gagné à leur cause une partie des réfugiés qui délaissent l’univers symbolique nationaliste palestinien, et se réinscrivent dans la géographie mentale de l’islamisme international. Les camps sont devenus le théâtre d’une guerre civile larvée entre nationalistes et radicaux djihadistes, avec des assassinats réguliers de part et d’autre, et une division des espaces très marquée.

Les autorités libanaises n’ont pas lutté contre cette évolution ?

De 1990 au retrait de l’armée syrienne en 2005, le Liban n’a jamais pratiqué qu’une seule politique de sécurité en quinze ans de cession, le Conseil des ministres au Liban n’a jamais discuté de la question palestinienne ! Les camps étaient un sujet réservé à l’appareil sécuritaire libano – syrien, qui poursuivait deux objectifs. D’abord, lutter contre Arafat pour lui retirer le statut de représentant des réfugiés, la question des réfugiés étant un atout vis-à-vis de la communauté internationale et d’Israël. Ensuite, empêcher l’installation définitive des Palestiniens, qui auraient rendu la revendication au droit au retour ineffective. De sorte qu’aucune mesure sociale n’a été prise, de peur de faciliter la vie des Palestiniens ! Une des conséquences en est la dégradation catastrophique du niveau scolaire dans les camps : les enfants arrêtent leurs études dès treize ans. A contrario, cette politique encourage une installation définitive, puisqu aucun pays d’immigration n’accepterait des jeunes sans formation, ne parlant aucune autre langue que l’arabe. Le résultat en est aussi une coupure générationnelle avec des parent qui, eux, sont des diplômés des années de l’OLP. De sorte que ces jeunes, chômeurs, oisifs, en rupture, sont souvent disponibles à une resocialisation religieuse.

N’y – t – il pas eu une autre politique depuis le retrait syrien ?

Il y a eu des tentatives. Par exemple, quand Siniora a accepté que Mahmoud Abbas ouvre un bureau à Beyrouth, il a mis en place des canaux institutionnels avec des représentants palestiniens au Liban. Mais à chaque initiative du gouvernement, l’opposition l’accuse de vouloir implanter les Palestiniens au Liban pour augmenter la force démographique des sunnites. Aujourd’hui, un nouvel élément vient compliquer le problème : la résolution 1559, qui appelle au désarmement de toutes les milices, celle du Hezbollah comme celles des camps. Au nom de son opposition à 1559, le Hezbollah cherche à s’allier les représentant des réfugiés pour constituer un front.

Dans ce nœud inextricable, une issue est-elle possible ?

Pour réduire l’influence de ces radicaux, il faudrait que l’autorité palestinienne coopère avec l’armée libanaise. Le Fatah serait favorable à cette coopération. Mais le Hamas, qui a fait alliance avec le Hezbollah, empêche toute action concertée en faveur de l’application 1559.

Et au niveau internationale ?

L’Arabie Saoudite cherche aussi à agir auprès de ces groupes. Elle a réussi à convaincre certaines franges très radicalisées des mouvement islamistes libanais de pencher en faveur du gouvernement, contre le Hezbollah : si vous voulez la guerre, vous aurez une guerre confessionnelle et perdrez votre légitimité nationaliste arabe en devenant l’organe de chiites libanais.

         La logique du gouvernement libanais et de l’Arabie Saoudite a plutôt réussi : le pays n’a pas basculé et le Fatah al-Islam est resté un phénomène marginal. Les autres organisations radicales des camps du sud, comme Aïn Héoulé, le plus peuplé, penchent pour le moment pour la défense de la communauté sunnite, plutôt que pour une action internationaliste, type Al-Qaida. Leur identité étant construite sur le Jihad et l’opposition au régime, leurs dirigeants justifient auprès de leur base leur realpolitik en disant que collaborer avec le Liban leur permet d’y maintenir leurs réseaux, d’y accueillir et y recruter des militants internationalistes.

           Mais le danger est que la crise dure. Plus les religieux s’impliquent dans la défense du gouvernement, plus ils auront de prérogatives à faire valoir. Ce pourrissement met en danger les équilibres internes de cette communauté sunnite, déjà fragilisée par des cadres identitaires très incertains. A la dernière manifestation du 14 février, il y a eu des slogan du type « Zarkaoui, Saddam Hussein, Hariri, même combat ! » Dans l’immédiat, l’autre danger est que l’armée libanaise s’embourbe dans Nahr al-Bared et que les scènes de violence montent l’opinion publique contre elle, et donc contre le gouvernement de Siniora.

Propos recueillis par Marianne Dautrey , Charlie Hebdo du mercredi 30 mai

(*) Bernard Rougier est l’auteur de Jihad au Quotidien, PUF.

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