Egypte : un islamiste relâché, un blasphémateur toujours sous les verrous ( Caroline Brancher )
En Egypte, il ne fait pas bon vivre pour les internautes, tout particulièrement lorsqu’on critique ouvertement le régime sur le web. Non content d’étouffer la presse, le Président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, vient d’étendre la censure aux blogs, la nouveauté technologique des dernières années. Sur le site de Reporters Sans Frontières, l’Egypte figure actuellement parmi les 13 ennemis déclarés d’internet.
Ainsi, Abdel Kareem Nabil Suleiman, arrêté en novembre 2006, purge une peine de quatre ans pour avoir "incité à la haine de l'islam" et "insulté" le président Moubarak. Issu d’une famille très pieuse, le père du bloggueur a réclamé l’application de la charia contre son fils c’est à dire sa mise à mort.
Plus connu sous son nom de plume "Kareem Amer", le jeune homme expliquait sur son blog que son rêve était de devenir avocat pour défendre les femmes arabes musulmanes contre toutes les formes de discriminations et de mettre un terme aux violences commises quotidiennement dans les pays arabes
Se définissant comme activiste des droits de l’homme, Kareem Amer dénonçait les dérives autoritaires du gouvernement. Il critiquait aussi les plus hautes institutions religieuses du pays, en particulier l’université sunnite Al-Azhar, réputée pour être un des fiefs des Frères musulmans (la célèbre confrérie islamiste dont le parti est soi-disant interdit en Egypte mais toléré)
Un autre bloggueur, Abdul-Moneim Mahmoud, a été arrêté le 14 avril 2007. Bloggant sous le titre « Ana Ikhwan » (« je suis un frère ») tant en Arabe qu’en Anglais, Abdul-Moneim Mahmoud dénonçait l’autoritarisme de Moubarak et les tortures commises par les services de sécurité. Si, à première vue, Kareem Amer et Abdul-Moneim Mahmoud semblent avoir beaucoup en commun, il n’en est rien.
Sur ses différents blogs, Abdul-Moneim Mahmoud ne cache en effet guère sa sympathie pour les Frères musulmans. C’est d’ailleurs son appartenance à la confrérie qui a tenu lieu d’accusation officielle par les autorités égyptiennes.
Abdul-Moneim Mahmoud relayait sur le net la paranoïa islamiste à la perfection : par exemple, un film expliquant que la guerre entre sunnites et chiites en Irak n’a rien à voir avec Al-Qaeda , que les islamistes ne persécutent pas les Coptes en Egypte, que ce sont les sionistes qui ont tout manigancé est recommandé par le bloggueur. Pour Abdul-Moneim Mahmoud, le message de ce film est clair : c’est un appel contre l'ennemi réel qui complote contre notre monde arabe et Islamique
Un musulman égyptien, qui se dit amoureux de son pays, postera un commentaire sur le blog Ana Ikhwan rappelant ainsi la nuisibilité des Frères : les frères musulmans veulent que l’Egypte retourne 100 ans en arrière.(…) Vous battez probablement vos femmes et voulez leur faire porter le niqab, VOUS DETESTEZ PROBABLEMENT TOUTE PERSONNE QUI N’EST PAS MUSULMANE et vous croyez à la mise à mort d’innocents en Israël et aux Etats-Unis, vous n'êtes pas mieux que le gouvernement israélien ! Vous êtes un DANGER POUR L’EGYPTE ! Vous faîtes en sorte que les musulmans pacifiques comme moi vivent avec la peur au ventre dans ce pays !
Très actif sur le net, Abdul-Moneim Mahmoud a également convaincu d’autres Frères de s’emparer des nouvelles technologies de l’information pour relayer la propagande islamiste.
A l’initiative de Reporters Sans Frontières, une pétition de soutien réclamant la libération des deux bloggeurs circulent actuellement sur le net . Cette pétition, qui présente deux bloggeurs pourtant très différents comme des opprimés du régime, pose la question suivante :
Peut-on défendre avec la même ardeur les deux bloggeurs quitte à faire passer un islamiste pour un innocent qu’on opprime alors qu’il est lui même un ennemi de la liberté ?
Si nul ne devrait être emprisonné de façon arbitraire et autoritaire pour avoir simplement exprimé une opinion, ne devrait-on pas aussi rappeler la nature du projet politique en faveur duquel Abdul-Moneim Mahmoud milite, projet politique bien éloigné de l’idéal d’égalité et de liberté que Kareem Amer réclame ?
Si le parti des Frères musulmans représente effectivement une force de contestation contre le régime Egyptien, il ne sera jamais une force de libération. En tout cas pas pour les femmes, ni les Coptes, ni les homosexuels.
Interrogé pendant plusieurs heures à propos des blogs et des bloggueurs, Abdul-Moneim Mahmoud a été libéré de la prison de Tura dans la nuit du 1er au 2 juin 2007. Sain et sauf, il a pu rejoindre sa famille. Kareem Amer, lui, est toujours emprisonné.
Caroline Brancher