Amnesty International dans le collimateur du Vatican
Dans un entretien à l’hebdomadaire américain National Catholic Register le 13 juin 2007, le cardinal Renato Raffaele Martino demande aux organisations catholiques de suspendre toute aide financière à Amnesty International, en raison de sa prise de position favorable à la dépénalisation de l’avortement. Cette intervention du président du Conseil pontifical Justice et Paix fait écho à une récente décision du conseil exécutif d’Amnesty de promouvoir les droits à l’IVG pour les femmes victimes de viol ou dont la santé est mise en danger par une grossesse.
Jusqu’au mois d’avril, Amnesty ne s’était jamais ouvertement prononcé sur la question de l’avortement. En 2005 pendant la campagne contre les violences faites aux femmes dans le monde, le problème du viol avait été abordé ainsi que les demandes d’accès à l’IVG pour ces femmes. Les recensements fournis par l’OMS concernant la mortalité des femmes par avortements clandestins faisaient part du chiffre de 68 000 décès par an.
En avril dernier, le conseil exécutif d’Amesty a donc décidé de s’engager en affirmant que A.I soutiendra les femmes victimes de viol ou en danger pendant leur grossesse dans leur demande d’IVG.
“Il n’existe pas de droit à l’avortement internationalement reconnu” indique le cardinal Martino, faisant référence à la conférence du Caire où il guidait la délégation vaticane à l’ONU en tant que nonce apostolique. Il relaie ainsi les mouvements Pro-life qui s’élèvent contre cette nouvelle position, considérée comme diamétralement opposée aux droits de l'homme et à la déclaration des Nations Unies sur les droits de l'enfant.
Le cardinal Martino appuie son argumentaire sur les positions fondamentalistes du “Serviteur de Dieu Jean-Paul II” (1)
Le testament de Jean-Paul II
Dans son livre Mémoire et identité, qui prend valeur de testament, Jean-Paul II souligne que “la nation et la patrie demeurent des réalités irremplaçables” et rappelle son bon souvenir à une “culture de la vie” malmenée à ses yeux par une société devenue trop laxiste et matérialiste.
Cette conviction a guidé constamment son engagement contre l’avortement et l’euthanasie. Elle s’est également manifestée à l’occasion des conférences internationales des Nations Unies (Le Caire en 1994 et Pékin en 1995)
Dans Evangellium vitae, l’une de ses encycles morales de 1995, Jean-Paul II proclame les lois sur l’avortement et l’euthanasie comme dépourvues de validité juridique.
Il s’agit aussi pour le défunt pape de prêcher pour un retour aux “sources”, aux “racines”, au passé pour mieux se projeter dans le futur européen. Parce que “le monde a besoin d’une Europe qui, une fois qu’elle aura pris conscience de ses fondements chrétiens et de son identité, sera en même temps prête à forger son présent et son avenir à partir de leur puissance” dit-il dans son Homélie prononcée lors de la Sainte Messe, à Varsovie le 2 juin 1979 (2) La référence à un héritage chrétien pourrait ainsi donner force de loi à ce discours où manipulations génétiques et avortement sont les pêchés de la société moderne qui succombe aux illusions de la science toute-puissante…
Chassez le naturel, il revient en papa mobile !
“Par 'naturel', il ne faut pas entendre tout ce qui existe dans la nature (ou dans la réalité sociale) mais tout ce qui est conforme à la nature des choses, et en particulier à la nature de l'homme (…) La loi naturelle est la loi morale (naturelle) que l'homme tire des exigences de sa nature et de la nature des choses en général”(3) note Fiammetta Venner.
En ce qui concerne la lutte contre le sida, Jean-Paul II n’a-il pas pointé du doigt à plusieurs reprises la sexualité débridée, martelant l’importance de la fidélité dans le mariage, insistant sur la place de la chasteté parmi les moyens de lutter contre cette maladie (Kampala en Ouganda, 1993)
Autre référence : mère Térésa de Calcutta
Dans son intervention, le cardinal Martino se réfère aussi à Mère Térésa considérant que décider d’avorter équivaut à décider qu’un enfant doit mourir pour vivre ensuite comme on le décide…
“Intermédiaire entre les pauvres et la mort, elle empêche les femmes victimes de viol systématique d’avorter, envoie les enfants à l’étranger dans des familles catholiques pour être adoptés. Quant aux autres, ils attendent la mort dans la prière et des conditions d’hygiène plus que lamentables” explique Anne Sebba dans son ouvrage Mère Térésa : la face cachée.
Amnesty et la neutralité en matière de contraception
Depuis avril, Amnesty a renoncé à sa neutralité sur la question en raison d'une "pandémie de violences contre les femmes", explique Kate Gilmore, secrétaire générale adjointe de l'organisation. L'ONG défend désormais la possibilité d'avorter pour les femmes en danger
. "Nous devons proposer une réponse pour les grossesses résultant de violences", souligne Mme Gilmore. "Si vous êtes enceinte à la suite d'un viol, vous devriez (...) avoir la possibilité de faire le choix de poursuivre ou non cette grossesse." "Amnesty International s'est clairement prononcée jeudi en faveur du droit des femmes et des jeunes filles à ne pas subir de menaces ni de contraintes lorsqu'elles exercent leurs droits sexuels et reproductifs", souligne l'organisation dans un communiqué. (4) "Nous espérons que les gens du monde entier qui ont des convictions continueront de soutenir activement le combat d'Amnesty International contre la torture, contre la peine de mort, et en faveur d'une bonne administration de la justice y compris pour les femmes et les jeunes filles", ajoute Mme Gilmore. "Amnesty International prêtant être l'avocate des droits de l'homme, alors qu'elle pense que c'est acceptable que les gouvernements piétinent le droit le plus important et le plus fondamental : le droit à la vie", a déclaré Franck Pavone, le directeur de Priests for Life. (5)
"Amnesty International s'est clairement prononcée jeudi en faveur du droit des femmes et des jeunes filles à ne pas subir de menaces ni de contraintes lorsqu'elles exercent leurs droits sexuels et reproductifs", souligne l'organisation dans un communiqué en réaction aux critiques du Vatican et de ses fidèles.
De quelle manière A.I reçoit-elle des dons ?
"Nous n'avons pas accepté de fonds du Vatican et nous n'acceptons pas de fonds de tout autre Etat pour aider notre travail contre les violations des droits de l'Homme"
"Partout dans le monde, des millions de personnes de confessions différentes et aux croyances diverses font individuellement des dons à Amnesty International", note Mme Gilmore. "Parmi ces dons, nous sommes heureux de recevoir ceux de personnes de confession catholique."
Voilà qui lève le voile sur une ingérence éventuelle et fantasmée des mouvements “pro choice” dans les décisions de Amnesty International à laquelle le Vatican et ses adeptes “pro life” se réfèrent, en parlant des “lobbies pro avortement qui continuent leur propagande dans le cadre de ce que Jean Paul II appelait la culture de mort”.
“Il est extrêmement grave qu'une organisation méritante comme Amnesty International se plie aux pressions de ces lobbies”, a-t-on en effet déploré. (6)
Ce n’est pas la première fois que le saint- Siège intervient au sujet des mesures qu’il serait amené à prendre à l’encontre de ONG favorisant d’une manière ou d’une autre l’accès aux moyens de contraception jugés “non-naturels” En 1996, le Vatican avait annoncé une mesure similaire à l'encontre de l'Unicef, le fonds des Nations unies pour l'enfance, qu'il avait également accusé de promouvoir l'avortement.
L'Unicef diffusait dans les camps des réfugiés du monde entier une information sur un spermicide post-coïtal à destination des jeunes femmes ou des adolescentes victimes de viol.
Le Vatican avait supprimé son aide à l'Unicef, qui s'élevait alors à 2.000 dollars par an.
Et Kate Gilmore d’indiquer haut et fort dans son communiqué de presse du 14 juin 2007 (7) : “Amnesty International est aux côtés des victimes de violations des droits humains. Notre politique traduit notre obligation de manifester notre solidarité, en tant que mouvement de défense des droits humains, avec, par exemple, la femme du Darfour, enceinte après un viol commis par l’ennemi et que son entourage accable d’un opprobre d’autant plus fort” “Notre mouvement entend protéger tous les citoyens, y compris les croyants, mais nous n’imposons pas de croyance. Nous avons pour but de défendre les droits humains, et non telle ou telle théologie. Nous nous référons à des articles de loi et nous respectons les États, sans invoquer Dieu. Il se peut que, parfois, le système laïque de défense des droits humains soutenus par Amnesty International converge parfa
itement avec les points de vue des tenants de certaines confessions. Mais cette convergence ne se produit pas toujours.” Et Amnesty de préciser qu’elle entend "défendre la possibilité pour les femmes d'avorter en respectant un délai maximum raisonnable lorsque leur santé ou leurs droits humains sont en danger."
Depuis 1957, le Vatican est devenu observateur permanent au titre d’Etat non-membre au sein de l’ONU, et participe à tous les débats sans avoir à se conformer aux programmes de l’organisation. Ce statut exceptionnel lui permet ainsi de faire passer une idéologie évangéliste particulièrement vivace dans les discours et diverses campagnes de Benoît XVI, et toutes les positions réactionnaires des mouvements pro vie face à l’émancipation féminine et du droit à disposer de sa vie.
Nathalie Szuchendler
(1) http://www.zenit.org/article-15623?l=french
(2) citée dans Mon livre de méditations, Pour ceux qui souffrent, qui doutent, qui espère, paris, éditions du Rocher, 2004, p.207
(3) Fiammetta Venner, Extrême France, Grasset, 2006
(4) http://www.amnestyinternational.be/doc/article11078.html
(5) http://www.genethique.org/revues/revues/2007/mai/20070516.2.asp
(6) http://www.lefigaro.fr/international/20070614.FIG000000278_l_eglise_catholique_polemique_avec_amnesty_sur_l_avortement.html
(7) http://www.amnestyinternational.be/doc/article11078.htm
Dimanche 17 juin 2007
Article Nath Szuchendler consultable in