Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
egalibre, blog de Nathalie Szuchendler
23 août 2007

Kadhafi bientôt à l’Académie Française (Antonio Fischetti)

Dans  Le Livre vert, le Guide de la révolution dévoile son manifeste politique, présenté comme une troisième voie entre capitalisme et communisme. Morceaux choisis de cette œuvre capitale pour comprendre la pensée du nouveau client et ami de la France.

Grâce à Sarkozy, nous avons un nouveau pote. Jusqu’ici, il était mal vu, vilain, caca, Kadhafi. Maintenant,  c’est le type bien, celui à qui l’on vend des armes et des centrales nucléaires . ( ah, oui, pour dessaler l’eau de mer : c’est de la radioactivité écolo). Muammar  Kadhafi, on le connaît finalement assez  peu. Le mieux encore est de le découvrir à travers son ouvrage de référence, écrit en 1976. Le Livre Vert est à Kadhafi ce que Le Petit Livre Rouge est à Mao, les Evangiles à Jésus et les chansons de Mireille Mathieu à Nicolas Sarkozy. Interdiction de la presse, absence d’élections, futilité de la vie culturelle, tout est dans cette bible. On nous dit que Kadhafi vient de rejoindre le  “concert des nations” : Le Livre Vert dévoile la partition qu’il joue aux Libyens depuis trente-huit ans.

La place de la victoire à Tripoli résume à elle seule l’idéologie du pouvoir libyen. Sur cette place,une sculpture. Elle représente deux livres. L’un porte l’inscription “Capitalisme”, l’autre “Communisme”. Ces deux livres sont en loques et recouverts de toiles d’araignées.  Par –dessus trône un volume resplendissant : Le Livre Vert, du guide Muammar Kadhafi.

Dans la pratique, c’est un livret d’une centaine de pages écrites en grosses lettres. Le “Guide de la révolution” libyenne y expose la “troisième théorie universelle”. Troisième car elle se démarque à la fois du capitalisme et du socialisme. La teinte chlorophylienne du livre incarne la verdure, symbole de fraîcheur et de prospérité dans ces contrées désertiques. Mais laissons la parole à  l’auteur : Le Livre Vert “présente la solution définitive au problème de  “l’appareil de gouvernement”, il indique aux peuples le moyen de passer de l’ère de la dictature à celle de la démocratie véritable”. Ouahou, rien que ça.

La première partie du livre s ‘attache donc à fustiger ce que le reste du monde appelle “démocratie” : “49% des électeurs sont gouvernés par un système qu’ils n’ont pas choisi et qui, au contraire, leur a été imposé. Et cela est la dictature […] Il ne reste  au peuple que cette apparence qu’illustrent les longues files d’électeurs venant  déposer dans l’urne leurs bulletins de vote”. Quand Kadhafi a une idée en tête, il l’exploite jusqu’au bout : “ Qu’un comité ou un Parlement légifère pour la société, cela est injuste et antidémocratique.” Fidèle à sa logique, le Guide bannit évidemment les partis politiques en tant qu’expression d’une minorité : “Le parti est la tribu des temps modernes… C’est la secte.”

Mais alors , qu’est-ce qu’il propose, Muammar, une fois qu’il a éliminé les partis politiques et les élections ? Eh bien, la démocratie directe, avec des comités populaires qui nomment des représentants par acclamation. C’est ce qui se fait en Libye…  A ceci près que les comités sont parfaitement contrôlés par le régime. Demandez à un Libyen ce qu’il pense de cette  “véritable démocratie” : il va sourire doucement, sans faire de bruit, des fois qu’on l’entende, pas trop longtemps, des fois qu’on le voie, mais il va sourire doucement…

Le kadhafisme  est-il un humanisme ?

Dans les paragraphes du Livre Vert sur le liberté d’expression, on apprend que Kadhafi prétend résoudre  “définitivement et  démocratiquement”, ce que l’on appelle dans le monde  “le problème de la liberté de la presse”. Une petite explication s’impose : “la presse est un moyen d’expression de la société, et non le moyen d’expression d’une personne physique ou morale. Logiquement et démocratiquement, elle ne peut être la liberté la propriété ni de l’un, ni de l’autre.” Donc la presse étant forcément au service de la société, et celle-ci étant  incarnée par des comités populaires, donc par Kadhafi, exit la presse indépendante. Ce qui est évidemment mis en pratique en Libye – car Kadhafi n’est pas de cette sous-race d’hommes politiques qui rédigent un programme sans l’appliquer.

Les hommes sont soudés par la nation. Pour l’expliquer, le Guide ne craint pas de s’aventurer sur les terrains de la science.  “Comme l’instinct de groupe est la condition de perpétuité des espèces du règne animal, le nationalisme est la raison de survie des nations.”  Faut-il en conclure que les Européens, qui abolissent les frontières, font preuve de dégénérescence biologique ?

Après la nation, la religion est un autre bon ciment social. Sur ce point, Kadhafi a une position un peu subtile. D’un côté il pourchasse les islamistes et n’impose pas le voile pour les femmes.  Mais de l’autre, il applique la charia islamique, plus souplement certes qu’en  Iran,  mais il l’applique tout de même. “La règle juste veut que chaque nation ait sa religion : c’est le contraire qui est anormal. De cette anomalie naît une situation malsaine, origine de graves différents au sein de la communauté nationale.” En somme, les problèmes surviennent quand plusieurs religions se côtoient dans un pays. Que l’on reste entre soi, les catholiques avec les catholiques, les musulmans avec les mususlmans, les Juifs avec les Juifs, et tout ira bien.

Artiste, terroriste : même combat

Nation et religion appellent la famille. Le chapitre sur “les femmes” est l’un des plus savoureux du Livre Vert.  Pour faire court, on ne retiendra simplement que la compagne de l’homme “est avant tout une femelle”, qu’elle “est la maîtresse de maison car tel est le statut convenable et nécessaire de celle qui subit l’affaiblissement menstruel”.  Le  “révolutionnaire” qui écrivit  ces lignes au milieu des années 70 ignorait-il qu’au même moment le monde capitaliste traversait une révolution sexuelle ?

Mais on peut lui pardonner, car l’ouverture culturelle n’a jamais été le propre de la Libye.  A  ce sujet, Muammar a d’ailleurs quelques phrases bien senties. “Ceux qui  façonnent eux-mêmes la vie n’ont pas besoin de l’imaginer à travers le jeu des acteurs de théâtre ou de cinéma”.  Les loisirs culturels sont faits pour les ratés qui vivent par procuration ; Kadhafi illustre son analyse par les “peuples bédouins, très sérieux et très travailleurs, [qui] ne prennent aucun intérêt au théâtre ni aux spectateurs.  Menant une vie très austère,  ils n’ont pas ils n’ont que dérision pour pour les faux-semblants”.  Pour  preuve qu’on n’est pas des tafioles en Libye, la création culturelle y est depuis longtemps recouverte par le désert de sable.

La double vie de Kadhafi : dictateur le jour, philosophe la nuit

On veut bien être très gentil avec notre nouvel  ami, amis ça sera dur d’y voir un parangon de démocrate. Mais alors pourquoi l’axe de Bien ne lui enseigne-t-il pas les droits de l’Homme à coups de bombes, à lui-aussi ? Ah c’est vrai, me voilà sur le chemin de la rédemption.  Il n’y a qu’à voir Seif al-Islam , le fils du Guide. Il est moderne, lui, il condamne la torture et il dit avoir toujours su que les infirmières n’étaient pas coupables. Ferait-il une crise d’adolescence contre papa.

Le discours de Seif  al-Islam est connu de tous les Libyens, mais ils vous diront qu’il parle au nom de la “Fondation Kadhafi”, l’ONG caritative qu’il dirige, et que celle-ci n’est pas le pouvoir, et que de toute façon : les infirmières sont coupables, elles ont été condamnées, et puis c’est tout.  Que le discours de Seif  al-Islam puisse engendrer l’ombre dune vaguelette d’émoi dans une Libye muselée à la perfection n’est même pas envisageable une seconde. Le contrepoint entre les Kadhafi père et fils n’est pas l’expression d’un contre-pouvoir. Au contraire, il fait penser à ces flics qui vont par paire : le gentil offre des clopes quand le méchant donne des baffes, mais tous deux ont pour but d’amener la proie dans leurs filets. Le fils de Kadhafi incarne un visage plus présentable du régime…  pour mieux permettre à papa de continuer à tenir la boutique comme avant.

Et les deux compères, Nicolas comme Muammar, y trouvent leur compte. Imaginons qu’il  n’y ait pas eu cette histoire d’infirmières. Sarkozy se pointe pour vendre des armes et des centrales nucléaires à Kadhafi. Tollé universel et immédiat ! Mais voilà, il y a les infirmières. Au premier impoli qui émet des critiques, Sarkozy répond par l’émotion : l’essentiel est la libération des infirmières, n’est-ce pas ? Dans la stratégie sarkozyste, cette libération est l’acte héroïque qui occulte le copinage douteux. Elle a permis à Kadhafi de se refaire une virginité (on efface l’ardoise du terrorisme) et à Sarkozy de légitimer son commerce avec un dictateur… Euh, pardon, un ami.

Antonio Fischetti

In Charlie-Hebdo du mercredi 08 Août 2007

Publicité
Publicité
Commentaires
egalibre, blog de Nathalie Szuchendler
Publicité
Archives
Publicité