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egalibre, blog de Nathalie Szuchendler
26 décembre 2007

Ayaan Hirsi Ali : "L’Europe est en train de se suicider"

Rencontre avec Ayaan Hirsi Ali, alors que le gouvernement néerlandais refuse de continuer à payer pour sa protection.

Caroline Fourest : Quelle est votre situation aujourd'hui, comment financez-vous votre protection ?

Ayaan Hirsi Ali : Je vais de lieu en lieu pour quémander de l'argent. Ma situation n'est pas bonne. Ils ont voulu me faire taire, me faire passer pour folle. Ils n'y sont pas arrivés. Mais sans protection, le danger se rapproche, de façon très sérieuse. Pour moi, cela n'a rien de théorique. Théo Van Gogh a été tué lorsqu'il n'avait pas de protection. En fait, il a été tué parce qu'il n'avait pas de protection...

Pourquoi avez-vous voulu vivre aux Etas-Unis, et pourquoi voulez-vous y rester ?

J'y ai pensé une première fois quand, en Hollande, des voi­sins ont porté plainte et ont réussi me chasser de la maison où le gouvernement m'avait fait loger. Puis, la ministre de l'Immigrarion a voulu me retirer ma nationa­lisé. J'ai alors demandé un emploi à plusieurs universités aux Etats-Unis et à plusieurs think tanks, notamment des think tanks de gauche. Mais le seul à avoir répondu, et dans la journée, ce fut l'American Enterprise Institute. C'était pareil en Hollande. La gauche m'a lais­sée tomber. C'est son pro­blème. Mais c'est triste, parce que je suis de gauche...

Partagez-vous les vues des néoconservateurs sur la "guerre" contre le terro­risme ?

Je ne suis pas d'accord avec la façon dont on aborde la ques­tion terroriste depuis le 11 septembre, sur le mode "nous sommes en guerre contre la terreur". Le terro­risme est une tactique. Ce n'est ni un pays, ni une idéo­logie. Vous ne pouvez pas déclarer la guerre à une tac­tique ! La guerre est déclarée au nom de l'islam et d'une idéologie islamique de nature politique. Il fallait faire cette analyse au lieu d'aller en Irak. On aurait ainsi porté plus d'attention à l'Arabie Saoudite et à l'Iran.

Vous dites que la guerre est déclarée  "au nom de l'islam". Faites-vous la dis­tinction entre l'idéologie et les croyants, qui ne sont pas tous intégristes ?

Il ne faut jamais confondre les idées et ceux qui les écou­tent. Mais mon idée de l'is­lam, c'est qu'il s'agit d'un sys­tème politique, social et culturel qui transforme les individus en esclaves et aliène le corps des femmes. C'est mon opinion. Vous voulez me tuer pour penser cela ? Cela ne changera pas ma façon de penser. Il est très important de pouvoir critiquer l'islam en tant que religion, surtout quand on vient d'une culture musul­mane. Mais comment conti­nuer à parler à ceux qui sou­haitent rester musulmans tout en respectant les valeurs européennes ? J'ai une amie d'origine maghrébine à qui j'ai demandé si elle se considé­rait comme musulmane. Elle m'a répondu : Je pratique l' "islam à la carte". Si l'is­lam à la carte est possible, s'il met l'accent sur la liberté de choisir, alors, bien sûr, je n'ai aucun problème. Les gens peuvent croire en ce qu'ils veulent, je m'en fiche. Je connais des chrétiens qui croient que Jésus a marché sur les eaux. J'ai des amis juifs qui ne mangent pas de crustacés. Pourquoi ce type de poisson et pas un autre ? Allez savoir... La religion n'est pas rationnelle. Le souci, avec l'islam, c'est qu'il n'y a pas de sortie possible. Soit vous êtes croyant, soit vous êtes un mécréant. Du coup, parce que je ne crois pas, n'im­porte qui peut venir m'accu­ser d'être une infidèle et réclamer qu'on me tue. Le vrai problème, c'est que de nombreux musulmans, même en Occident, pensent que la charia passe avant la Constitution. C'est la princi­pale différence avec les inté­gristes chrétiens. Nous n'au­rons la paix que lorsque tous les musulmans accep­teront d'être français ou européens en premier, puis musulmans.

La religion n'est pas en soi importante. Ce qui compte, c'est que les croyants accep­tent de faire passer leurs croyances après le respect des lois.

Oui, mais demander le res­pect des lois n'est pas suffi­sant. Il faut se battre pour gagner les cœurs et les esprits de nos propres conci­toyens, au lieu de rester assis et de laisser les Saoudiens implanter leurs écoles, finan­cer leurs mosquées et tout un système de socialisation dif­férenciée, pour convertir ou radicaliser des citoyens qui vivent en Europe.

Justement, l'université de Leyde, aux Pays-Bas, a auto­risé le sultanat d'Oman à financer une chaire d'islamologie qui a été attribuée à Tariq Ramadan 1 . Comment le vivez-vous ?

Le plus douloureux, c'est que c'est sur le banc de cette université que j'ai appris à être un esprit éclairé, libre et progressiste. Et maintenant, une obscure nation islamiste donne de l'argent à mon uni­versité pour faire venir un homme qui pratique le double discours, qui n'est même pas universitaire, qui n'a rien à voir avec ce que l'université est censée être, pour diffuser le message de l'islam et de Hassan al-Banna [ fondateur des Frères musul­mans, ndlr]. J'ai dû lire l'un de ses livres pour une chronique, Le Messager, dans lequel il demande de "suivre les pas de Mahomet". Il raconte qu'à quatre ans deux anges sont venus ouvrir le torse du Pro­phète, ont enlevé son cœur et l'ont remplacé par un cœur nettoyé de tous péchés. Je m'attendais à ce que Tariq Ramadan ajoute qu'il s'agit d'une parabole. Pas du tout. Il en parle comme de faits vraiment survenus ! Qu'est-ce que ça a à voir avec l'univer­sité ? Et sur la jaquette de ce livre, il est écrit: "Tariq Ramadan, professeur à l'uni­versité d'Oxford" ! L'Europe est en train de se suicider...

Plusieurs députés socialistes européens ont pris l'initiative de demander à l'Union euro­péenne de financer votre pro­tection, qu'en pensez-vous ?

J'apprécie énormément et j'en serais très reconnais­sante si cela arrivait. Cela montrerait alors qu'il existe des forces pour défendre les libertés face au totalitarisme. Cela me rend plus optimiste. Si vous étudiez la façon dont le nazisme a réussi à prendre le pouvoir au sein de la démocratie européenne la plus avancée de l'époque, l'Al­lemagne, vous vous aperce­vez qu'il y est parvenu grâce à l'aveuglement et à la complai­sance de ceux qui disaient : Hitler est juste fou, il n'y arri­vera jamais. Cette leçon est toujours valable. Ce finance­ment européen de ma protec­tion, s'il se concrétise, signi­fiera qu'en Europe les esprits qui veulent résister au totali­tarisme seront protégés, que leurs vies seront sauvées. Ce sera un message clair : "Nous sommes sérieux à propos de nos valeurs."

1- Suite à la polémique, Tariq Rama­dan vient d'annoncer qu'il renonçait à ce poste, pour des raisons familiales et en vue d'autres projets.

Propos recueillis par C. F.

In Charlie-Hebdo du 05 décembre 2007

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