Loi de 1905 : ce qu'on ne dit pas aux Français ( Anne Demetz )
Dans une interview publiée le 01 Mai 2007 dans l’édition française du “Jérusalem Post”, Nicolas Sarkozy, a précisé, à propos d’une éventuelle réforme de la loi de 1905 : “ Si cette question mérite sans doute d’être étudiée, c’est notamment parce qu’il n’est pas juste que les fidèles de certaines confessions apparues ré-cemment sur notre territoire rencontrent des difficultés pour pratiquer leur culte. (..) Pour légiférer sur ces questions délicates, l’accord de la grande majorité des Français et des différentes communautés cultuelles me semble indispensable." .
Ce serait certainement un préalable indispensable. Mais le mieux serait, la France étant, par sa Constitution une république laïque et sociale, régie par le principe d’égalité et son Président, Gardien de cette Constitu-tion, d’abandonner toute vélleïté de modifier la loi de 1905...
Mais, dans cette interview (comme dans celle donnée à La Croix, le 03/04/07), Nicolas Sarkozy, persiste à imputer les difficultés rencontrées par les fidèles de "certaines confessions apparues récemment sur notre territoire", à la loi de 1905. Or, en qualité d'ancien Ministre des Cultes, il devrait savoir qu’elles tiennent à ce que rien n'a été fait pour intégrer lesdites confessions au dispositif de cette loi (la plupart des associations cultuelles créées en France depuis 1945, sont constituées sous la seule la loi de 1901).
Pourtant, le statut de la loi de 1905, donne désormais droit à des financements publics indirects substantiels. A titre d’exemple, pour un un lieu de culte d’un coût global de 3 000 000 €, un culte de la loi de 1905 peut recevoir des dons manuels, donations et legs, en franchise des 60% de droits de mutation (art. 795-10 CGI) et les fidèles imposables bénéficient d’une déduction fiscale sur leurs dons manuels de 66% (Art. 200e CGI). Mais une association cultuelle de la loi de 1901, elle, devra réunir 4 800 000 € (même les dons manuels peuvent être taxés au taux de 60% (art. 757 CGI)) et ce laborieusement (non déductibilité des dons manuels pour les donateurs). Enfin, elle n’a pas droit à l’aide des collectivités publiques pour la réparation des bâti-ments affectés au culte, réservée aux associations la loi de 1905 (art.19 L 1905),
Alors pourquoi, songer, à présent, à un financement direct des cultes par les pouvoirs publics, au lieu d’encourager ceux qui ne sont pas constitués sous le visa de la loi 1905, à adopter cette forme légale ?
Certes, les seules contreparties prévues aux généreuses exonérations fiscales liées au statut de la loi de 1905 sont un objet exclusivement cultuel et le respect renforcé de l'ordre public (ce qui permet de circonve-nir les pratiques intégristes et sectaires même des cultes “sous influences étrangères” ) (1).
Or, ces conditions ne permettent pas au bailleur de fonds publics d'influer sur les votes des fidèles ni d'exi-ger d’un culte, une collaboration à l’application d’une politique publique. En outre, si on encourage tout culte à bénéficier de la loi de 1905 (façon la plus équitable, en France (2), d’assurer les libertés de croire et de ne pas croire), cela peut, coûter plus cher qu'un financement direct discrétionnaire, au cas par cas, de tel ou tel culte par les maires (3).
Aussi est-il tentant, pour certains représentants des églises et de l’Etat, de songer que tout serait plus simple sans l’article 2 de la loi de 1905 :”L’Etat ne reconnait ne salarie ni ne subventionne aucun culte». (4) Comme d'antan, ils pourraient faire, des deniers publics et des enseignements religieux, les instruments de leurs ambitions personnelles, quand, ni les uns ni les autres ne doivent être détournés à cette fin.
Toutefois, il est douteux que les populations de “mécréants” et de “fidèles”, désormais tous citoyens et élec-teurs, apprécient de redevenir dépendants des cultes pour la solidarité sociale et auxiliaires des élus pour la pratique de leur foi (voir l’exemple des Etats Unis note 2).
Cette considération devrait faire réfléchir. Mais la vigilance reste de mise. Les libertés se conquièrent lente-ment mais peuvent se perdre très vite...
Anne Demetz
Voir aussi : “L’alternative au rapport Machelon, la loi de 1905 pour tous” Revue ProChoix n° 38.
“Non au Rapport Machelon : La France doit rester Laïque” et “Nicolas Sarkozy menace toujours la loi de 1905” publiés respectivement les 28/01/2007 et 24/04/2007 sur le site de ProChoix.
(1) Dans l’interview donnée à la Croix, Nicolas Sarkozy déclarait vouloir s’en tenir “à quelques objectifs.” dont “couper l’islam de France des influences étrangères, qu’il s’agisse du financement des lieux de culte ou de la formation des imams”.
(2) Au Royaume Uni et aux Pays Bas (depuis 1983), les cultes ne peuvent recevoir que des financements publics indirects. Mais à la différence de la France, ils ne sont pas tenus à un objet exclusivement cultuel et reçoivent aussi des fonds publics pour leurs actions humanitaires (”Le financement des communautés reli-gieuses” Site du Sénat-). Alors qu’en France, pour ce faire, les cultes doivent créer une structure non cultuelle (prévention de la confusion des financements, du prosélytisme sous couvert d’humanitaire et choix laissé aux fidèles de soutenir ou non des actions sociales: l’organisation interne des religions étant rarement démocratique et souvent sexiste). Aux Etats Unis le financement public direct des cultes est admis. Néan-moins:.“Autrefois, quand des organisations religieuses percevaient des fonds fédéraux, elles devaient rendre des comptes et prouver que ces fonds n’étaient pas destinés au culte, au prosélytisme, à la prédication et à la conversion” . Mais sous les mandats de Georges Bush “ il n’est plus nécessaire aux ONG de rendre compte séparément de leurs activités religieuses, soit de démêler celles-ci de leurs efforts humanitaires, ni de s’interroger sur la légalité d’un recrutement fondé sur des critères religieux” (Charitable choice : L’humanitarisme et les politiques de la foi” par Erica Bornstein,- revue Vacarme n° 34, hiver 2006). Ce pro-cessus s’accompagne d’un désengagement de l’Etat fédéral de l’aide sociale.
(3) Le rapport Machelon propose d’autoriser le financement direct des lieux de culte par les maires. Ce fi-nancement, non plafonné, est conçu comme une simple faculté soumise au seul bon vouloir des municipali-tés.
(4) Jean Paul Scot, Historien, observe judicieusement qu’il fait partie du titre I de la loi, intitulé volontairement «Principes», à propos duquel Briand a expliqué que «les législateurs s’engageaient ainsi envers le pays en proclamant des principes rationnels d’action quelles que soient les circonstances ultérieures de la sépara-tion» qui devaient à l’avenir inspirer les législateurs et les magistrats.